Le Canada ne peut pas se permettre de se retirer de la scène internationale
Par Sevaun Palvetzian, présidente et cheffe de la direction, UNICEF Canada
Rencontres bilatérales avec les dirigeants de l’UE. Réunions dans le bureau ovale. Accueil du G7. Nouveaux engagements de l’OTAN. Il ne fait aucun doute que le Canada déploie plus d’efforts que jamais pour trouver sa place au sein d’un ordre mondial en pleine évolution.
Et cela est indispensable. Bon nombre des principes et des partenariats qui nous ont guidés pendant des générations ont soit radicalement changé, soit disparu. Nous reconnaissons à peine notre principal allié et l’approche de la nouvelle administration en matière de politique étrangère se caractérise par l’unilatéralisme, le repli commercial, le retrait du multilatéralisme et la diplomatie transactionnelle.
Ces changements bouleversent l’ordre mondial, et cela se produit en temps réel.
Le Canada ne peut pas se permettre de rester immobile. Le pays doit absolument prendre une longueur d’avance, c’est-à-dire planifier intelligemment à long terme (sur plusieurs générations, et non sur des cycles électoraux) et s’adapter habilement à court terme afin de trouver un équilibre entre les pressions nationales et l’incertitude croissante à l’échelle mondiale.
Comme pour la plupart des défis de taille dans la vie, il n’existe pas de recette miracle. Mais il existe quelques exemples de ce qu’il ne faut pas faire. L’un d’entre eux nous touche particulièrement.
Bien qu’ils aient acquis et conservé pendant des décennies le titre mondial de leader humanitaire, les États-Unis ont largement abandonné leur soutien à l’aide au développement au début de cette année avec le démantèlement de l’USAID.
Autrefois symbole de l’ambition humanitaire américaine, l’USAID a été créée en 1961 par le président John F. Kennedy dans le cadre d’un effort plus large visant à redéfinir la politique étrangère américaine durant la guerre froide. Il estimait que l’aide au développement, axée sur la santé, l’éducation, l’agriculture et les infrastructures, pouvait constituer un puissant outil pour la paix et la stabilité dans les pays nouvellement indépendants. Plutôt que de se contenter de réagir aux crises, les États-Unis investiraient dans le progrès à long terme. Un travail discret, mais aux répercussions considérables.
Ces investissements ont été judicieux. Ils ont été largement rentabilisés en termes de vies sauvées, de conflits évités, de prospérité accrue, de lutte contre la pauvreté et de réduction des maladies.
Pendant plus de six décennies, les États-Unis ont acquis une position de leader et ont contribué à façonner le monde grâce à une aide au développement et à une aide humanitaire d’urgence cohérentes et essentielles. Et ce, pour un coût inférieur à 1 % du budget fédéral.
Il est difficile d’exagérer l’ampleur des ravages causés par ces coupes budgétaires de l’USAID.
En matière de nutrition uniquement, l’UNICEF estime que près de 14 millions d’enfants pourraient voir leur accès à l’aide nutritionnelle perturbé, ce qui les exposerait à un risque élevé de malnutrition sévère. En raison de ces compressions, des enfants succomberont à des causes tout à fait évitables, non seulement la malnutrition, mais aussi le manque d’eau potable, d’installations sanitaires sûres et de services de santé essentiels. D’innombrables autres seront privés d’éducation et de programmes qui les protègent contre les dangers et les abus.
Voici trois raisons pour lesquelles le gouvernement canadien doit protéger et privilégier notre engagement de longue date envers une action mondiale conséquente alors que nous redéfinissons notre rôle sur la scène internationale :
L’aide étrangère génère des rendements colossaux
L’aide publique au développement (APD) est souvent considérée à tort comme une simple œuvre caritative, un bienfait appréciable en période de conjoncture économique favorable. Mais l’APD n’est pas un luxe. Il s’agit d’un levier stratégique de politique étrangère qui génère des retombées tangibles.
Un dollar dépensé pour prévenir les crises sanitaires avant qu’elles ne se propagent, pour soulager la faim ou l’instabilité à l’étranger permet d’économiser beaucoup plus en matière d’intervention par la suite. Des programmes d’aide bien conçus peuvent réduire les migrations forcées, limiter la propagation des pandémies et prévenir les conflits avant qu’ils n’exigent une intervention humanitaire. La prévention est moins coûteuse que la reconstruction : chaque dollar versé à l’aide humanitaire peut permettre d’économiser jusqu’à 7 dollars en mesures d’urgence.
L’éducation exerce également une influence multiplicatrice et joue un rôle essentiel dans le maintien de la paix et de la sécurité mondiales. Des études montrent qu’un taux élevé d’inscription aux établissements d’enseignement secondaire supérieur est étroitement lié à la réduction des risques de conflit. Une autre étude a révélé que l’augmentation du taux d’inscription des garçons aux établissements d’enseignement secondaire de 30 % à 81 % est associée à une réduction de deux tiers du risque de guerre civile.
Il s’agit là de résultats impressionnants. Leur réalisation nécessite un engagement, mais leur mise en œuvre ne requiert qu’un budget relativement modeste.
Le Canada consacre moins de 0,5 % de son revenu national brut à l’APD. Cette somme nous permet d’exercer une influence remarquable et d’obtenir l’une des polices d’assurance les plus judicieuses qu’une puissance moyenne puisse souscrire : un monde plus juste, plus stable et plus sûr qui vient en aide non seulement aux plus vulnérables dans les moments les plus difficiles, mais qui sert aussi directement les valeurs et les intérêts du Canada.
L’aide étrangère constitue un outil inestimable dans le cadre des relations internationales
L’influence est une monnaie. Mais elle nécessite des investissements continus pour exercer pleinement ses effets cumulatifs.
L’aide publique au développement (APD) permet non seulement de sauver des millions de vies, mais aussi de maintenir des relations internationales solides entre les pays, de prévenir des crises qui coûteraient beaucoup plus cher si elles n’étaient pas maîtrisées, et de doter les nations d’une capacité directe et concrète d’influencer les conditions mondiales qui nous concernent tous.
Une aide au développement bien ciblée et bien établie permet au Canada de susciter la confiance, d’exercer une influence et de nouer des relations dans des régions où la puissance et les alliances mondiales évoluent rapidement.
Lorsque nous investissons dans la santé publique en Afrique de l’Ouest, dans l’éducation des filles en Asie du Sud ou dans l’accès à l’eau potable au Moyen-Orient, nous ne répondons pas seulement à des besoins humanitaires urgents, nous établissons également des partenariats à long terme fondés sur le respect, la fiabilité et des objectifs communs. Le Vietnam, par exemple, est devenu le principal partenaire commercial du Canada en Asie du Sud-Est après avoir reçu une assistance internationale du Canada.
Ces partenariats revêtent une grande importance. Outre le fait qu’ils façonnent et sauvent des vies, ils peuvent contribuer à garantir la coopération internationale, à créer des débouchés commerciaux et à renforcer les normes démocratiques dans des régions où des modèles de gouvernance concurrents gagnent du terrain.
En termes simples, l’APD permet au Canada d’intervenir d’une manière que la diplomatie ou la défense à elles seules ne peuvent assurer.
L’influence mondiale évolue, et d’autres acteurs prennent le relais
C’est incroyable à voir en temps réel. Alors que les bailleurs de fonds traditionnels comme les États-Unis réduisent leurs engagements en matière d’aide, de nouveaux acteurs interviennent pour assumer ce rôle de leader. Des pays comme la Chine renforcent leur engagement par le biais de financements à grande échelle dans les infrastructures et le développement, souvent d’une manière qui correspond à leurs intérêts stratégiques. Lorsque les États-Unis ont annulé des projets sur l’alphabétisation des enfants et le développement de la petite enfance, la Chine est immédiatement intervenue en finançant des programmes de rechange presque identiques.
Pour que le Canada demeure pertinent dans un monde en pleine mutation, nous devons être présents et proactifs sur la scène internationale. Non seulement dans les salles de réunion, les couloirs des ambassades ou les rencontres de dirigeants, mais aussi en apportant un soutien local aux communautés où la confiance et l’influence se forgent souvent en premier lieu.
Les pays qui se retirent maintenant risquent de perdre leur crédibilité, leur poids et leur influence à long terme. Ce sont des pertes que le Canada ne peut se permettre. Trop de vies – et notre nouvelle place dans un monde en transformation – dépendent de notre capacité à réussir.