C’est une nouvelle réalité. Je suis assis à la table de ma cuisine et déguste mon petit déjeuner fait de toasts et de café, tout en participant à une réunion virtuelle avec mes collègues de l’UNICEF qui se trouvent aux quatre coins de la planète. Pour certains, c’était l’heure du déjeuner de midi, pour d’autres, c’était l’heure du souper, et quelques-uns auraient dû être même en train de dormir. En tant qu’organisme mondial, nous devons maintenant faire les choses différemment pour respecter le confinement généralisé. 

Nous étions tous réunis pour faire le point sur le travail de l’UNICEF concernant la lutte contre la COVID-19. Ce que je peux vous dire c’est que j’ai trouvé cela très inspirant d’écouter ces leaders mondiaux remarquables parler de notre travail dans cette période actuelle de crise sans précédent.  

« Nous intervenons dans quatre domaines », précise le Dr Carlos Navarro, qui est notre expert médical. 

« Tout d’abord, il y a la santé publique. Nous nous fondons sur toutes les données scientifiques de l’OMS. Notre travail consiste à faire part des risques liés à cette pandémie et à donner les conseils nécessaires pour maîtriser la situation, en insistant sur l’importance d’avoir de bonnes pratiques d’hygiène, de meilleures mesures vis-à-vis de l’eau potable et de l’assainissement, et, bien sûr, en appuyant les cliniques et les travailleuses et travailleurs de la santé.

« En second lieu, nous devons nous pencher sur les conséquences sociales et économiques. Comme les écoles du monde entier ferment les unes après les autres, et que les pertes d’emploi se multiplient, on peut s’attendre à voir une augmentation de la violence sexiste et de la violence contre les enfants. D’ailleurs, dans certains cas, cela pourrait perdurer. Certaines personnes appellent cela des "dommages collatéraux". Je déteste vraiment cette expression. »

C’est vrai, l’utilisation d’une telle expression est inappropriée pour exprimer la souffrance humaine décrite; c’est un peu comme si on parlait des effets secondaires d’une maladie. Or, nous nous rendrons peut-être compte plus tard qu’il s’agissait là de la principale conséquence à long terme. 

Carlos aborde ensuite la question de la réponse humanitaire de l’UNICEF. « Nous devons être prêts à faire face à des épidémies dans les camps de réfugiés. Comment allons-nous nous approvisionner? Comment allons-nous poursuivre notre travail? ».

Manuel Fontaine, directeur des programmes d’urgence de l’UNICEF, avait d’autres éléments à partager sur le sujet : « Tout ce que nous avons vu dans les pays du nord sera pire dans les pays du sud. Lorsque dix personnes vivent dans une même pièce, comment peuvent-elles pratiquer la distanciation sociale?

Lorsque les frontières ferment et que les transporteurs aériens arrêtent de voler, comment pouvons-nous expédier des fournitures ailleurs pour les personnes qui en ont besoin immédiatement? Et qu’en est-il de notre travail d’urgence en cours? Nous ne devons pas laisser tomber les enfants souffrant de malnutrition sévère au Sahel, ni ceux qui sont victimes de l’épidémie de rougeole au Congo ou encore ceux qui sont déscolarisés en raison de la crise sévissant au Venezuela. » 

Alors que je retranscris les paroles de Manuel, je réalise qu’elles laissent place à un certain sentiment de panique, et pourtant le ton utilisé par Manuel était factuel et déterminé. Il ne faisait qu’énoncer les défis causés par cette pandémie pour l’UNICEF, ainsi que les conséquences pour les enfants et les familles auxquels nous venons en aide. « Il y a un autre enjeu aussi, car en général, nous envoyons du personnel pour gérer les situations d’urgence. Mais nous ne pouvons pas le faire si ces personnes doivent être mises en quarantaine à leur arrivée dans le pays. Comment pouvons-nous être sur les lignes de front sans être physiquement présents? Nous devrons adapter notre réponse aux situations d’urgence à cette nouvelle réalité. »

Eva Kadilli, directrice, Division des approvisionnements de l’UNICEF, était également présente lors de cet appel. « Nous avons commencé à acheminer des fournitures en janvier, avant que les frontières ne commencent à fermer », précise-t-elle.

« Nous avons envoyé des aliments thérapeutiques, des fournitures scolaires, du matériel d’assainissement de l’eau. Par contre, il a été difficile d’obtenir des blouses et des masques. Et c’est toujours le cas. Comme la Chine fabrique la moitié des masques du monde, nous avons dû nous approvisionner ailleurs lorsque le pays a suspendu sa production. Par la suite, d’autres grands fabricants ont interdit l’exportation de masques et de vêtements de protection. Nous en cherchons donc partout. »

Il est clair que si le virus s’installe dans les camps de réfugiés, dans les centres-villes surpeuplés d’Afrique, dans les pays où les taux de VIH et de tuberculose sont déjà élevés, alors...

L’appel a pris fin, et j’ai été plutôt surpris de ne pas me sentir assailli par l’anxiété, malgré les propos graves de mes collègues. Bien que nous n’en sachions pas encore beaucoup sur ce virus, et que les perspectives soient inquiétantes, je garde espoir. Pourquoi? C’est très simple. Je sais que le personnel de l’UNICEF présent dans le monde entier travaille fort pour surmonter ou circonvenir tous ces défis. Je sais aussi que tellement de bonnes personnes partout dans le monde font tout leur possible pour protéger les enfants et les familles les plus vulnérables. 

Le quatrième domaine qui nous concerne, parmi ceux mentionnés au début par Carlos, est celui qui consiste à assurer la sécurité et la santé mentale des membres de notre personnel et de leur famille pendant qu’ils travaillent dans une période qui pourrait bien être la plus difficile de nos vies respectives.

Manuel a quitté la conversation, car il devait assister à une autre réunion virtuelle, mais avant de partir, il a dit « N’oublions pas que nous vivons un moment de grande solidarité rempli de compassion et d’entraide », dit-il.  

Ce sont ces mêmes caractéristiques humaines qui seront la pierre angulaire nous permettant d’avancer alors que nous faisons face à un défi mondial inédit.