Nous savons qu’il existe une application pour la plupart des choses, mais peu d’entre nous s’attendait à l’arrivée de l’application de traçage des cas de coronavirus. 

Le gouvernement fédéral a annoncé la semaine dernière son association avec Apple, Google, Blackberry et des bénévoles de Shopify pour développer une application de traçage des contacts pour téléphone intelligent appelée « COVID Alerte ». L’Ontario, où l’application a été développée, sera la première région à la tester. Le gouvernement affirme que l’application pourra être téléchargée dès le 3 juillet. 

Le principe est simple : l’application fonctionne en arrière-plan pendant que vous vaquez à vos occupations quotidiennes. Lorsque vous passez un certain temps à proximité d’un autre utilisateur de l’application, vos téléphones échangent des balises de proximité uniques et anonymes grâce à la technologie Bluetooth. Si vous avez obtenu un résultat de dépistage positif pour la COVID-19, les autorités de santé publique vous fourniront un code que vous pourrez entrer dans l’application. Toutes les personnes avec qui vous avez été en contact au cours des 14 derniers jours seront informées qu’elles ont pu être en contact avec le coronavirus et devraient prendre les précautions nécessaires. Dans le contexte d’une pandémie mondiale, alors que le traçage des contacts peut s’avérer fastidieux, il est facile de voir les avantages potentiels d’une telle application. 

La majeure partie du débat public autour de l’utilisation de ces technologies s’est axée, à juste titre, sur les préoccupations liées à la protection de la vie privée. De nombreuses personnes hésitent à donner à une application gouvernementale l’autorisation de retracer les personnes avec lesquelles elles ont été en contact. Qui plus est, ces applications traiteront des renseignements personnels sur la santé, ce qui pourrait avoir des répercussions sur la vie des personnes concernées. La sécurité des données doit être optimale. 

Le gouvernement et ses partenaires reconnaissent que le respect de la vie privée doit être au premier plan afin qu’un maximum de personnes adhère volontairement à l’application, condition nécessaire à son efficacité. D’ailleurs, des mesures ont été prises en ce sens : l’application n’utilisera pas de données de localisation GPS, la transmission des données sera anonyme et la participation sera volontaire et pourra être annulée à tout moment. Les experts en matière de protection de la vie privée appuient cette application avec prudence. Toutefois, le gouvernement se doit d’accorder une attention particulière à un groupe d’utilisateurs potentiels de l’application : les enfants et les jeunes.

Les personnes âgées de moins de 18 ans seront-elles autorisées à télécharger ou à supprimer l’application, avec ou sans le consentement de leurs parents? Devraient-ils utiliser l’application, compte tenu des effets positifs et négatifs potentiels connexes? Quels renseignements leur seront fournis sur le fonctionnement de l’application et sur la manière de procéder s’ils donnent ou reçoivent une alerte? Auront-ils confiance en cette application? 

Le premier ministre Justin Trudeau décrit « COVID Alerte » comme étant une application que vous pouvez télécharger, puis oublier, jusqu’à ce que vous envoyiez un message à vos amis ou camarades de classe pour signaler un risque d’infection, ou que vous receviez un message en un instant qui vous informe que vous avez peut-être été exposé à un agent pathogène possiblement mortel. 

Voici un scénario possible : nous sommes au début du mois de septembre, et les cours viennent de recommencer à l’école secondaire de votre enfant. Pendant le cours de mathématiques, les téléphones dans la salle de classe et dans tout le bâtiment se mettent à sonner. Tous partagent le même message : vous avez été en contact avec quelqu’un qui a reçu un diagnostic de COVID-19. Les élèves commencent immédiatement à appeler leurs amis et leurs parents; les suppositions concernant l’identité de l’élève ou du membre du personnel l’ayant contracté commencent à circuler. L’équipe administrative de l’école se met en mode crise : annule-t-elle le reste de la journée scolaire? Que faire pendant les 14 jours suivants? En quelques minutes, les élèves anxieux ramassent leurs affaires et partent. Le cours de mathématiques prend subitement fin. 

Au Canada, le taux d’intimidation chez les enfants est déjà élevé, y compris la cyberintimidation. Ceux qui auront reçu un résultat de dépistage positif pour la COVID-19 pourraient se sentir rejetés ou encore plus isolés en cette période de « distanciation sociale ». Les comportements normaux des adolescentes et des adolescents, comme aller à une fête ou sortir en cachette pour voir son petit ami, étant encore plus tabous durant la pandémie, un jeune de 14 ans décidera-t-il de laisser son téléphone à la maison plutôt que de risquer qu’une application gouvernementale expose sa vie privée? 

Pour les enfants se trouvant dans des écoles, dans des foyers collectifs, dans des bâtiments ou des quartiers densément peuplés, et même des petites communautés, la protection de la vie privée restera un enjeu, quelle que soit la technologie de l’application. Au Royaume-Uni, un projet de loi pourrait permettre à un parent ou à un tuteur d’installer une application de traçage des contacts sur le téléphone d’un enfant de moins de 16 ans, mais donnerait à l’enfant le droit de la supprimer s’il est suffisamment âgé et a démontré la maturité requise pour comprendre les conséquences de ces gestes. La même considération a-t-elle été accordée à « COVID Alerte » au Canada? 

Les enjeux liés à l’utilisation par les enfants d’une application de traçage des contacts ne sont pas insurmontables. Les jeunes d’aujourd’hui sont incroyablement doués pour la technologie. Beaucoup d’entre eux ont mieux géré ce cours accéléré d’épidémiologie qu’est la pandémie que leurs parents. Comme pour les autres initiatives de santé publique, la clé du succès est simple : une communication claire et cohérente qui fournit à la population, y compris aux enfants, les renseignements et l’autonomie dont ils ont besoin pour prendre leurs propres décisions. 

Le traçage des contacts est un élément important dans la lutte contre la pandémie. Ce serait une bonne nouvelle pour les enfants si cette technologie permettait aux écoles et autres espaces pour les jeunes de rouvrir et de rester ouverts en toute sécurité. 

En utilisant des outils tels que L’évaluation de l’impact sur les droits de l’enfant, et en augmentant les occasions pour les jeunes de se faire entendre, les gouvernements pourraient éviter les conséquences imprévues des politiques bien intentionnées.

La communication est un élément clé.