Le Liban en guerre et en paix : réflexions sur ma mission bénévole
Bayan Yammout, ambassadrice d’UNICEF Canada, est née à Beyrouth, au Liban, pendant la guerre civile. Elle y a vécu pendant 17 ans en zone de conflit. Bayan sait ce qu’est la vie d’un enfant touché par un conflit : se cacher dans des abris souterrains, manquer l’école et vivre les conséquences du déplacement à l’intérieur du pays. Elle a été contrainte de chercher de l’eau et a vécu l’angoisse de perdre des proches.
Aujourd’hui enseignante en éducation spécialisée à Toronto, Bayan a eu l’occasion de partager ses connaissances et son expertise avec d’autres personnes en Ontario et à l’étranger sur le travail avec les enfants en situation de handicap.
Elle a plus récemment été invitée par le bureau national de l’UNICEF au Liban à rencontrer le personnel de ses nombreux partenaires pour voir comment les enfants en situation de handicap sont pris en charge dans le pays et ce que nous pouvons faire de plus pour renforcer les capacités et promouvoir l’inclusion.
Suivez-la pendant qu’elle fait part de ses réflexions sur son voyage.
ENTRÉE N° 1 DU JOURNAL
Le 17 janvier 2025
Aéroport Pearson, Toronto, Ontario
Je suis à l’aéroport Pearson, prête à m’envoler pour le Liban.
C’est ma deuxième tentative de voyage au Liban. Je devais y aller en octobre, mais mon voyage a été annulé à la dernière minute pour des raisons de sécurité. Puis, il y a quelques semaines à peine, le Liban a conclu un accord de cessez-le-feu plus qu’indispensable de 60 jours.
Ma carte d’embarquement à la main, je suis en plein tourbillon d’émotions. D’un côté, je suis ravie de pouvoir travailler avec l’équipe d’UNICEF Liban et de partager mes connaissances et mon expertise pour soutenir leur action auprès des enfants en situation de handicap. De l’autre, je suis inquiète de ce que je verrai au Liban. Après de lourds bombardements, des quartiers et des villages entiers ont été rasés. De nombreux enfants ont été blessés ou tués, et plus de 400 000 enfants ont été déplacés.
Je sais qu’une fois arrivée au pays, ces scènes de destruction seront douloureuses et bouleversantes. Elles me replongeront dans la guerre que j’ai vécue toute mon enfance au Liban.
Je sais que ce sera une mission difficile, mais je sais que cela en vaudra la peine. Je suis profondément inspirée par le dévouement du personnel de l’UNICEF et de ses partenaires, de tous ceux et celles qui risquent leur vie pour répondre aux besoins de ces enfants dans des conditions difficiles.
Je ne sais pas vraiment ce que je vais voir, mais je parie que cela changera ma vie.
ENTRÉE N° 2 DU JOURNAL

Le 23 janvier 2025
Beyrouth et Tripoli, Liban
Eh bien, je suis arrivée saine et sauve, mais les premiers jours ont été difficiles, comme je m’y attendais.
Parcourir les rues de Beyrouth et voir les traces de la guerre est déchirant. En même temps, parler aux gens et être témoin de leur détermination à reconstruire et à aller de l’avant est tout simplement remarquable.
J’ai connu le Liban en temps de guerre comme en temps de paix. Ce pays impressionne toujours par sa capacité de se relever malgré les nombreuses crises et difficultés auxquelles il fait face.
Hier, j’ai rencontré l’équipe du bureau national d’UNICEF Liban. Au Liban, les enfants en situation de handicap font face à la stigmatisation et à d’importants obstacles sociaux, physiques et économiques à l’éducation et aux soins. Grâce à des campagnes de sensibilisation au handicap et à des formations destinées aux parents, aux intervenantes et intervenants, au personnel enseignant et à la communauté dans son ensemble, les membres de l’équipe prônent sans relâche une meilleure inclusion de ces enfants dans les écoles publiques et les communautés locales. Mais ce n’est pas le seul problème sur lequel ils se concentrent.
Le personnel d’UNICEF Liban doit surmonter une montagne de défis, en plus du stress causé par la guerre, la crise économique actuelle et même après les conséquences de l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Je suis vraiment impressionnée par sa capacité de poursuivre sa mission.
Le lendemain, j’ai visité l’association First Step Together (FISTA) à Tripoli. La FISTA dispose de trois sites au service des enfants et des jeunes présentant des handicaps légers à sévères, ainsi que des enfants autistes, dans le nord du Liban.
Après avoir discuté avec le personnel, j’ai été choquée d’apprendre que les enfants en situation de handicap restent souvent à la maison 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Même ceux qui ont la chance de bénéficier de programmes spéciaux ne peuvent y assister que trois demi-journées par semaine en raison de la forte demande et du manque de financement pour couvrir les frais de fonctionnement. Cela a un effet dévastateur sur leur développement global et sur l’acquisition de compétences. La FISTA reçoit environ dix demandes par semaine et a une longue liste d’attente d’enfants en situation de handicap. L’UNICEF forme le personnel de l’association et finance 275 enfants présentant des handicaps modérés à sévères. C’est loin d’être suffisant.
Mais il y a des moments de bonheur. Je pense aux enfants dont je viens de faire la connaissance, comme Lynn qui apprend la broderie, Joseph qui cueille des olives pour faire du savon, Batoul qui s’adonne aux arts plastiques, et Issa qui découvre les émotions. Toutes et tous sentent qu’ils appartiennent à un groupe, et leurs expériences et compétences uniques sont appréciées.
Il est remarquable d’entendre comment le personnel de la FISTA a mobilisé ses forces lors du dernier conflit. Lors d’une période de bombardements, Tripoli a accueilli de nombreuses familles déplacées venues d’autres régions du pays. Elles ont été hébergées dans des écoles publiques transformées en abris temporaires, ce qui a entraîné la fermeture des centres de la FISTA. Au lieu de rester chez eux, les membres du personnel enseignant de la FISTA ont décidé de soutenir les enfants hébergés dans ces refuges, notamment ceux en situation de handicap ou ayant des problèmes de santé. Grâce au financement de l’UNICEF et au soutien du ministère libanais des Affaires sociales, ils ont proposé des activités psychosociales aux enfants dont la vie a été bouleversée par le conflit et les déplacements.
Malgré les conséquences de la guerre et des multiples crises, ces enseignantes et enseignants travaillaient 24 heures sur 24 pour offrir un certain sens de normalité aux enfants qui vivaient des traumatismes inoubliables.
ENTRÉE N° 3 DU JOURNAL

January 30, 2025
Bednayel, Lebanon
Aujourd’hui, la journée a commencé un peu tôt. Après avoir passé quelques jours à la FISTA, dans le nord du pays, à observer et à aider le personnel enseignant, puis à animer des ateliers pratiques, nous avons quitté le bureau d’UNICEF Liban pour Bednayel, dans la région de la Bekaa. Nous avons dû nous arrêter en chemin après avoir appris de manière inattendue que nous avions besoin d’une habilitation. Nous soupçonnons que c’était à cause d’un événement survenu la veille, mais telle est la vie au Liban actuellement : la situation en matière de sécurité peut changer d’heure en heure, le cessez-le-feu étant fragile. Heureusement, nous n’avons pas été arrêtés longtemps.
En chemin, des panneaux d’affichage mettant en garde contre les explosifs résiduels des récents bombardements m’ont donné des frissons. Bientôt, le silence s’est installé dans la voiture, alors que nous entrions dans un nouveau quartier durement touché par les bombardements, sur la route de Bednayel. Les sombres scènes de destruction reflètent les immenses souffrances endurées par cette communauté. Ce qui était autrefois une belle maison à deux étages n’est plus qu’un amas de décombres. On pouvait encore voir du mobilier : matelas, rideaux, tapis, un poêle défoncé, ainsi que des jouets d’enfants et des livres.
Nous sommes finalement arrivés à un centre Makani géré par l’Organisation libanaise pour les études et la formation (OLEF). La scène était tout aussi bouleversante que celle que nous venions d’observer. Ce centre, un lieu qui offre soins et moments de joie aux enfants, jouxtait une maison complètement détruite. Le danger est si proche. Aujourd’hui, lorsque les enfants arrivent, ils passent devant cette scène de destruction et se souviennent de l’expérience traumatisante dont ils tentent de se remettre.
Je connais ce sentiment. Je me souviens que pendant la guerre, lorsque les combats cessaient temporairement et qu’on nous autorisait à sortir jouer, on voyait des scènes comme celle-ci. On n’avait jamais le temps d’y réfléchir; notre priorité était de profiter de ce moment pour sortir et jouer. C’est ça, la résilience.
L’OLEF gère les centres Makani dans le gouvernorat de Baalbeck. Ces centres communautaires multiservices offrent une éducation non formelle et des services intégrés aux enfants marginalisés et à leurs aidantes et aidants. Au centre de Bednayel, les enfants présentant un handicap léger suivent des programmes inclusifs au sein des classes ordinaires, tandis qu’une quinzaine d’enfants présentant un handicap modéré à sévère suivent un programme spécialisé cinq jours par semaine. Ce programme vise à promouvoir l’autonomie et les compétences en matière de communication, ainsi qu’à développer les compétences de base en lecture, écriture et calcul. Les thérapeutes travaillent en collaboration avec une enseignante ou un enseignant et avec une assistante ou un assistant pédagogique pour fixer les objectifs thérapeutiques et suivre les progrès.
L’ambiance du centre m’a aidée, du moins brièvement, à oublier une partie de la destruction dont je venais d’être témoin. J’ai vu des enfants heureux, souriants et engagés dans des activités ludiques comme la peinture et le chant. Ils participent également à des séances individuelles de psychologie, d’orthophonie, de physiothérapie et d’ergothérapie. Ils se sentent à l’aise. Ils se font des amis. Ils se sentent en sécurité, valorisés et appréciés. Ils savent qu’ils comptent.
ENTRÉE N° 4 DU JOURNAL

Le 5 février 2025
Beyrouth, Liban
Vendredi dernier, le 31 janvier, nous avons effectué une visite surprise au camp de réfugiés palestiniens d’Aïn El-Hilweh, dans le sud du Liban. Aïn El-Hilweh abrite plus de 64 000 personnes, dont des réfugiés syriens et des réfugiés palestiniens syriens. Ce camp est soutenu par l’UNICEF et de nombreuses agences partenaires. De nombreux de ces réfugiés font face à des niveaux élevés de pauvreté et de vulnérabilité multigénérationnelles.
Je me suis sentie en sécurité lors de mon voyage avec l’UNICEF. Notre laissez-passer ne nous autorisait qu’à passer très peu de temps à l’intérieur du camp, ce qui était bien, car notre objectif principal était de découvrir l’école maternelle Ghassan Kanafani, un centre éducatif inclusif soutenu par l’UNICEF pour les jeunes enfants, en situation de handicap ou non.
Après avoir franchi les postes de contrôle et les contrôles de sécurité, nous sommes entrés dans le camp. C’était un chaos organisé : des gens partout, des enfants qui couraient, des signes de pauvreté. Mais le centre Ghassan Kanafani était un véritable joyau. C’est un environnement véritablement inclusif pour les enfants et les jeunes, proposant une éducation préscolaire, des services de réadaptation, un programme d’art créatif et une bibliothèque. Nous allions de classe en classe, observant les enfants participer à des activités de musique, de jeu, de danse et d’enrichissement physique. Dans une classe, de jeunes enfants malvoyants apprenaient le braille.
La plupart des enfants ici sont nés dans le camp. Ces programmes inclusifs bien conçus nourrissent leur sentiment d’identité et de culture, les aidant ainsi à développer un sentiment d’appartenance et de fierté.
Une fois notre laissez-passer expiré, il était temps de partir. Alors que je m’apprêtais à sortir du camp, deux enfants m’ont offert un petit arbre en papier qu’ils avaient fabriqué en guise de remerciement, ainsi qu’une œuvre d’art créée par les élèves du programme d’art inclusif. Elle trône désormais dans mon salon. Elle me rappelle que la magie peut opérer dans les conditions les plus difficiles lorsque l’UNICEF, les organismes partenaires et la communauté travaillent ensemble.
La visite d’Aïn El-Hilweh m’a revigorée avant de retourner au centre Makani de Bednayel pour animer des ateliers avec l’équipe pédagogique et thérapeutique au cours des jours suivants. À Makani, j’ai également eu l’occasion de faire du bénévolat en classe avec Arzeh, une enseignante en éducation spécialisée. Les enfants que j’ai rencontrés dans la classe d’Arzeh avaient tous des personnalités uniques.
J’ai fait la connaissance d’Ali, âgé de six ans, qui communique principalement par gestes et expressions faciales et qui adore manger des croustilles épicées. Quand je lui ai demandé pourquoi, il a souri et m’a dit fièrement que manger des croustilles épicées le rendait fort!
J’ai rencontré Abdulla, qui est autiste. Il peut lire des phrases simples en anglais et adore assister à ses séances de thérapie. Je suis convaincue qu’il s’épanouirait dans une classe avec des enfants sans handicap.
J’ai également fait la connaissance de Mariam, qui vit avec une déficience visuelle et est non verbale. Son père m’a confié avoir constaté un réel changement depuis que Mariam est scolarisée. Il a exprimé son espoir que l’UNICEF élargisse son programme pour accueillir ses deux aînés, eux aussi en situation de handicap. J’aimerais avoir le pouvoir de changer cette dure réalité.
La pauvreté, la faim, la stigmatisation et l’absence d’accès à des transports accessibles ou à des équipements spécialisés ne sont que quelques-unes des difficultés auxquelles font face ces enfants. L’UNICEF et l’OLEF prônent un financement durable afin de garantir le respect des droits, de la sécurité et de la dignité des enfants.
Mes séances avec les membres de l’équipe et l’occasion de partager des pratiques inclusives et des ressources du Canada ont été enrichissantes. Leur dévouement, leur professionnalisme et leur créativité sont exceptionnels.
Une dernière anecdote avant de conclure. L’autre jour, je voyageais avec Mostafa de l’OLEF, qui m’aide à me déplacer dans la région, et il est passé déposer des lots de vêtements d’hiver à une famille. C’est ce que faisaient mes parents dans les années 1980. La joie que j’ai lue dans les yeux des enfants qui ont reçu les vêtements était réconfortante. Cela m’a fait réfléchir : être humanitaire, c’est bien plus que simplement accomplir une tâche; pour Mostafa, c’était garder les enfants de sa ville au chaud. Que ce soit mes parents il y a 35 ans ou Mostafa ce jour-là, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’espoir constamment transmis par l’UNICEF.
ENTRÉE N° 5 DU JOURNAL
Le 8 février 2025
Toronto, Ontario
Me voici de retour au Canada, motivée à parler des effets profonds de l’UNICEF et de ses partenaires sur la vie des enfants et des familles au Liban.
Il y a tant à méditer.
Cependant, ce que j’ai le plus fortement ressenti lorsque j’étais assise à l’aéroport de Beyrouth pour rentrer chez moi était la gratitude.
Je suis reconnaissante d’avoir eu la possibilité de suivre les traces de mes parents, de faire ma part et d’engendrer des retombées positives.
Je suis reconnaissante de la générosité et de la gentillesse de toutes les personnes que j’ai rencontrées, en particulier Hiba et l’équipe de l’équité et de l’inclusion d’UNICEF Liban pour avoir organisé ma mission, et Jeff de l’équipe d’UNICEF Canada qui est resté en contact avec moi et m’a aidée avec mes publications sur les réseaux sociaux.
Je suis reconnaissante envers l’équipe de protection et les chauffeurs qui ont assuré ma sécurité sur les routes.
Je suis reconnaissante envers les enseignantes et enseignants qui m’ont accueillie à bras ouverts, envers les enfants qui m’ont permis de me joindre à eux dans leur classe et d’être témoin de tout le plaisir qu’ils ont à l’école.
Je suis reconnaissante d’avoir eu l’occasion de regarder ces enfants dans les yeux et de leur dire « vous comptez », et qu’il y a beaucoup de gens ici au Canada qui pensent à eux et veulent les aider.
Et je suis reconnaissante que, même dans un monde plus divisé que jamais, l’UNICEF et ses partenaires placent les droits des enfants au premier plan, peu importe qui ils sont ou où ils vivent.
De nombreux Canadiens et Canadiennes veulent voir comment leurs dons transforment des vies.
Ils doivent savoir que chaque don à l’UNICEF donne lieu à de nombreuses histoires heureuses. Ces histoires dépendent de la générosité constante des donatrices et donateurs qui permet d’étendre les programmes et de venir en aide à davantage d’enfants, notamment à ceux en situation de handicap.
Parce qu’aucun enfant ne choisit d’avoir un handicap et aucun enfant ne choisit de vivre dans la guerre ou la pauvreté.