Ayate, Ashe, Biftu, Anifa et Asiya ont toutes refusé de se marier. Chaque fille connaissait ses droits et a eu le courage de les faire respecter. Elles espèrent toutes inspirer d’autres filles à faire de même, et ainsi mettre fin au mariage d’hommes avec de jeunes filles, une pratique néfaste au sein de leur communauté.

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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

Un soir, l’an dernier, alors qu’elle rentrait chez elle, Anifa, âgée de 14 ans, a surpris des étrangers discutant avec ses parents. Parmi eux se trouvait un homme dans la vingtaine. Ses parents ont demandé à Anifa de venir les voir, car ils voulaient lui parler. Confuse, elle s’est approchée de ses parents et des étrangers. « Anifa, nous allons te vendre », ont dit ses parents. « Me vendre? », a répondu Anifa, choquée. Elle ne savait pas comment réagir. Enragée, elle a crié : « Vendez-vous vous-même! » et s’est enfuie de la maison vers le seul endroit où elle savait qu’elle pouvait obtenir de l’aide : son école.

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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

Les choses se sont déroulées un peu différemment pour Biftu, âgée de 14 ans. Elle pensait être tombée amoureuse d’un jeune homme de son village et croyait que le mariage était le seul moyen pour eux d’être ensemble. Ils s’étaient rencontrés à l’entreprise de projection vidéo de ses parents, où le jeune homme travaillait. Après quelques mois de mariage, Biftu s’est vite rendu compte que leur relation l’empêchait de réaliser ses ambitions, car son mari, qui l’avait d’abord soutenue, avait changé d’avis concernant ses projets de poursuivre ses études. Grâce au soutien de son école et de ses parents, elle a demandé le divorce et ils se sont officiellement séparés en septembre 2018, juste à temps pour la nouvelle année scolaire.

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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

Pour Ayate, âgée de 14 ans, l’éducation était importante et elle savait que le mariage mettrait fin à sa scolarisation. Lorsque ses parents lui ont parlé du mariage qu’ils organisaient pour elle, elle les a convaincus de ne pas donner suite à l’arrangement. Après avoir discuté avec ses parents, elle a cessé de subir des pressions et a pu poursuivre ses études. L’histoire d’Ayate montre qu’il existe des familles prêtes à écouter leur fille, si celle-ci leur fait comprendre qu’elle ne souhaite pas se marier à un jeune âge.

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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

Malheureusement, les familles ne soutiennent pas toujours les jeunes filles, comme l’a découvert Ashe (à droite sur la photo), âgée de 14 ans, lorsque son frère aîné l’a obligé à se marier. Lorsqu’elle a appris l’arrangement, elle a refusé de s’y plier, suscitant affrontements et disputes au sein de sa famille. Le lendemain, Ashe s’est rendue à son école pour demander de l’aide. L’école a convoqué son frère pour discuter de la situation et lui expliquer les droits d’Ashe. Au final, Ashe a été soutenue par son école et le mariage n’a pas eu lieu.

Ashe avait d’abord demandé l’aide d’Asiya, âgée de 17 ans (à gauche sur la photo), qui parle ouvertement de son histoire afin d’inspirer d’autres filles. Asiya a été forcée de se marier à l’âge de 14 ans et d’abandonner ses études. Sa vie s’est alors transformée en une suite interminable de corvées : aller chercher de l’eau, cuisiner, nettoyer, ramasser du bois de chauffage et bien d’autres tâches. Peu de temps après, elle s’est rendu compte que l’éducation était LE moyen d’accéder à une nouvelle vie. Comme son mari ne voulait rien entendre, elle a décidé de divorcer. Après deux ans de vie conjugale, Asiya est retournée aux études en 2018. Elle a été élue par ses pairs pour diriger le club scolaire sur le genre, où elle inspire régulièrement ses 290 membres.

Clubs sur le genre en milieu scolaire

Comment ces cinq filles ont-elles pris connaissance de leurs droits et comment ont-elles trouvé le courage de se tenir debout, surtout dans une région où jusqu’à 48 % des filles sont mariées pendant l’enfance? Une partie de la réponse se trouve dans les écoles. Toutes ces filles fréquentent l’école primaire Shawe à Harana Buluk Woreda dans la région d’Oromia, et elles sont toutes des membres actives du club scolaire sur le genre.

Les clubs sur le genre sont mandatés par le gouvernement et créés pour donner aux filles et aux garçons les moyens d’acquérir des compétences nécessaires à la vie courante et les aider à rester sur les bancs de l’école. Ils offrent des activités parascolaires comme des cours sur l’apprentissage de l’autonomie fonctionnelle, des services d’aide de gestion des menstruations pour les filles, et des discussions de groupe sur la façon de prévenir et de réagir à la violence sexospécifique et au mariage d’enfants. Les membres mettent également en œuvre des campagnes de retour à l’école qui ciblent des enfants non scolarisés.

Chaque club est coordonné par un membre du personnel enseignant. Pour l’école primaire Shawe, ce rôle revient à Mme Sitina Harun, 24 ans, qui fait figure de modèle. Mme Harun n’a jamais été mariée et exerce une profession libérale à temps plein, ce qui est rare dans cette communauté où la plupart des femmes sont mariées.

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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

En décembre 2016, Mme Harun a participé à une formation organisée par l’UNICEF sur les moyens de prévenir les pratiques néfastes telles que le mariage d’enfants et la violence sexospécifique grâce à des programmes scolaires et non scolaires. En s’inspirant de ce qu’elle a appris lors de la formation, elle a élaboré un calendrier détaillé pour les clubs sur le genre, a ajouté du contenu et des activités supplémentaires aux réunions des clubs et s’est assurée que toutes les filles puissent recevoir l’aide nécessaire si elles étaient contraintes de se marier.

Participation locale du gouvernement

Les efforts dans les écoles ne seraient pas possibles sans la participation des organismes gouvernementaux locaux, notamment les services de police, les institutions judiciaires, le ministère de l’Éducation, et le Bureau des femmes, des enfants et des jeunes (Bureau of Women, Children and Youth – BoWCY). Des représentants et représentantes de ces organismes ont également participé à la formation avec Mme Harun, où ils ont appris à prévenir, à réagir et à travailler ensemble pour mettre fin aux pratiques néfastes. Leurs rôles ont été clairement expliqués. Le ministère de la Justice et la police interviennent lorsqu’une affaire nécessite des mesures judiciaires. Le BoWCY aide à organiser des collectes de fonds locales pour les familles les plus pauvres dans le but de leur fournir un soutien financier pour les besoins scolaires tels que le matériel scolaire, les uniformes et la nourriture. Le gouvernement comprend que lorsque les enfants vont à l’école, ils ont accès à des plateformes solides, comme les clubs sur le genre, dans le cadre desquels ils sont informés de leurs droits et apprennent comment obtenir de l’aide.

Un autre volet important de l’action gouvernementale consiste à veiller à ce que les enfants soient enregistrés à la naissance. Sans certificat de naissance, ou enregistrement quelconque à la naissance, il est facile de prétendre qu’une fille est plus âgée qu’elle ne l’est réellement et qu’elle est donc en âge de se marier. L’enregistrement des naissances est important parce qu’il aide les enfants à accéder à des services et les protège en cas de violation de leurs droits, comme c’est le cas lors d’un mariage précoce. Ce processus d’enregistrement renseigne également le gouvernement sur le nombre de naissances et sur l’endroit où elles ont lieu, lui permettant ainsi de planifier efficacement la prestation de services, comme la vaccination.

Voici les raisons pour lesquelles UNICEF Canada a décidé de soutenir un projet en Éthiopie visant à accroître le nombre d’enregistrements des naissances :

  • Renforcer la capacité technique et institutionnelle des organismes gouvernementaux de diriger et de coordonner efficacement la mise en œuvre des mesures d’enregistrement des événements tels que les naissances, les décès et les mariages.
  • Élaborer et mettre en œuvre une stratégie de communication pour sensibiliser davantage le public à l’importance de l’enregistrement des naissances et pour accroître la demande de services d’enregistrement des naissances.
  • Améliorer l’interopérabilité et la coordination des systèmes d’enregistrement et des statistiques de l’état civil ainsi que des systèmes de gestion de l’information pour améliorer la portée et la qualité des services d’enregistrement.
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[© UNICEF Ethiopia/2019/Mersha]

Une nouvelle génération de filles qui décident elles-mêmes de leur destin

Sans l’appui du club sur le genre, le leadership de Mme Harun et l’aide fournie par le gouvernement local et l’UNICEF, nos cinq filles seraient aujourd’hui mariées et déscolarisées, contribuant ainsi à la perpétuation d’un cycle causé par le mariage précoce qui empêche les filles de bénéficier d’une éducation et de contribuer au développement de leur pays.

Comme Mme Harun, les filles espèrent à leur tour en inspirer d’autres à mettre fin au cycle du mariage d’enfants.

Plus de filles comme Ayate apprendront comment parler à leur famille, comment expliquer leurs droits et obtenir le soutien de leurs proches pour poursuivre leurs études. Comme le dit Ayate, elles apprendront « les inconvénients du mariage précoce et comment communiquer leur refus aux membres de leur famille quand ils voudront les marier ».

Davantage de filles comme Biftu réaliseront que pour les enfants de son âge, « l’amour et l’éducation ne peuvent pas coexister », comme elle l’a expliqué.

Plus de filles comme Asiya réaliseront que leur vie peut changer. Il y a de l’aide; elles n’ont qu’à apprendre comment y avoir accès. Elles peuvent faire demi-tour et retourner sur les bancs de l’école, aider des filles comme Ashe à mettre fin à leur mariage arrangé, être un modèle pour les filles non scolarisées, et même être élues à la présidence d’un club sur le genre. Elles pourront un jour, comme l’espère Asiya, devenir professeur d’université pour pouvoir enseigner aux filles et les aider tous les jours.

Un plus grand nombre de filles apprendront ce que signifie l’autonomisation. Elles apprendront à être fortes comme Anifa, qui est convaincue que rien au monde ne l’empêchera de poursuivre ses études.

Elle n’est pas à vendre. Aucune fille ne l’est.